L'oiseau de référence
Il
avait fait beau, curieusement, des jours durant en Normandie. Le
temps se dégradait en descendant vers le Centre. D'abord la pluie,
fine mais constante, pendant des heures, puis l'orage, très vite
violent, qui tambourine sur le pare-brise. Ça avait commencé comme
ça en 2005, et pas très loin d'ici, à Vierzon. On était aussi en
été. Des grêlons gros comme des œufs de pigeon, on a dit !
J'avais laissé un guéridon en verre sur la terrasse ; j'ai
ouvert la baie vitrée pour aller le rechercher mais j'ai vite
renoncé, ça fait mal un œuf de pigeon ! (J'ai refermé la
baie vitrée en me demandant avec angoisse ce que j'aurais fait si
ç’avait été mon propre enfant qui se trouvait là dehors...)
Il
pleuvait de plus en plus fort mais toujours pas de glaçons.
N'empêche que ça m'aurait pas déplu d'apercevoir un pont. On est à
l'abri sous un pont. Sauf si le pont s'écroule évidemment. Parce
que la sécurité absolue, il faut bien comprendre que ça n'existe
pas, tout est une question d'échelle. Ce qui compte c'est l'oiseau
de référence. Un œuf de pigeon ramier a grosso modo la taille
d'une balle de ping-pong et pèse environ 20 grammes. Si on analyse
ces données au vu de la distance parcourue, la fragilité relative
de la boîte crânienne, et l'augmentation prévisible de ce genre de
phénomène à cause du dérèglement climatique, on peut déjà se
demander s'il ne faudrait pas rendre obligatoire dès aujourd'hui le
port du casque par temps d'orage.
Et
le pire est à venir, car le pigeon pourrait fort bien cesser d'être
l'oiseau de référence. Qu'arrivera-t-il alors si ça s'aggrave,
sachant que la poule rousse, la pondeuse la plus commune de nos
basses-cours, commet des œufs presque trois fois plus gros que ceux
du ramier, d'un poids moyen tournant autour de 60 grammes ? Le
canard c'est 80 grammes. Les oies lui passent devant avec des œufs
pouvant atteindre jusqu'à 180 grammes dans le cas de l'Oie blanche
du Poitou, autrefois prisée pour son duvet qui faisait d'excellents
édredons et dont l'espèce est à présent menacée de disparition,
notamment à cause du fait qu'elle ne pond pas plus de 8 œufs par an
(ce
qui pourrait être jugé rassurant si la météo qui tendrait à
l'imiter dans ses œuvres pouvait appliquer,
toujours à son exemple, le
même principe de parcimonie).
Mais
oies et canards ne sont rien encore. Si le scénario catastrophe se
précise il faut se préparer à voir tomber des grêlons semblables
aux œufs des plus grands volatiles de la planète, ceux qui ne
volent pas, mais qui courent comme s'ils avaient le Diable aux
trousses ! Le nandou latino-américain qui produit des œufs
jaunes au format et au poids fort voisins des œufs vert foncé de
l'émeu australien, soit environ 13 centimètres de haut et 9
centimètres de diamètre au plus large, pour un poids variant entre
600 et 900 grammes. Oiseaux coiffés l'un et l'autre sur le poteau
par l'autruche, autre habitante ailée du continent océanien dont
les chers petits viennent au monde en faisant exploser de l'intérieur
des œufs encore plus gros et plus durs, d'un poids avoisinant les 2
kilos ! Des vraies bombes ! Au minimum la force d'impact de
ces caillasses brûlantes, en forme de ballons de rugby, que recrache
le Stromboli, avec cette différence que les œufs d'autruche glacés
viendraient de plus haut.
Là
c'est plus seulement les tuiles et les pare-brise qui n'y résisteront
pas. Le pont est sûr de s'écrouler lui aussi. Il n'y aura pas de
refuge, on est foutu si ça arrive !
J'ai
poussé la manette des essuie-glaces sur la position où ils
s'agitent avec une telle vélocité que c'est à peine si on arrive à
voir à travers, et j'ai continué. Je n'étais plus très loin de
chez moi, autant tenter ma chance.
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