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lundi 19 mai 2014

Cauchemar chirurgical 1



Trachéotomie assistée au téléphone... ça fait partie des scénarios d'horreur que je me raconte quand j'ai pas envie de dormir.
Bon, aujourd'hui avec la webcam les choses seraient peut-être légèrement différentes, le chirurgien pourrait par exemple se servir d'un cobaye pour montrer en direct le geste qui sauve, mais imaginez ces mères qui n'eurent pas d'autre choix, il y a 15 ou 20 ans, que de percer un trou dans la gorge de leur enfant sans avoir reçu aucune formation, pas de tuto, rien, juste les instructions données au téléphone par un interne des urgences qui ne parlait pas toujours bien le français (quand c'était pas un véto ou un lointain cousin aujourd'hui à la retraite mais qui avait été boucher à Rungis !).
Désert médical.
- Même si on vous envoie un hélico, le petit sera mort avant qu'il arrive. Vous devez prendre une décision, Madame.

Tout ça parce que le môme avait avalé une abeille qui en avait profité pour le piquer dans le larynx et qu'il allait mourir asphyxié si elle ne faisait rien...
C'est arrivé ! Et ces héroïques mamans ne dialoguaient pas, comme je le disais, avec un spécialiste qui leur fait voir en même temps des images sur l'écran pour les aider à mieux situer la zone précise où elles doivent opérer. Non ! Il fallait qu'elles improvisent, un cuter ou un couteau de cuisine à la main, en gardant le combiné coincé dans le cou avec l'épaule !
Le toubib était à 300 km de là et il leur disait : « Calmez-vous, tout va bien se passer. Vous voyez le petit creux au milieu du cou... au-dessus de la pomme d'Adam... Bien. Plantez la pointe du couteau dedans. »
La maman tremble, elle transpire, elle est morte d'angoisse et personne ne peut l'aider, son mari passe la moitié de l'année sur une plate-forme pétrolière entre le cap Horn et les îles Kerguelen, le plus proche voisin est à un kilomètre et c'est un vieux satyre qui s'est juré de la sauter avant que son mari revienne.
Bref, aucun secours à attendre de l'extérieur. Alors elle le fait, parce qu'elle sait que sinon son enfant va mourir. Vlang! Elle enfonce la lame dans le cou du petit garçon. En tournant la tête, parce qu'elle peut pas regarder ça. C'est mou, c'était quoi ?
- DOCTEUR ! JE LUI AI CREVÉ UN ŒIL !
- Il lui en reste un. Vous ne devez pas culpabiliser.
Et la boucherie continue... Finalement, le gosse qu'elle n'a pas réussi à égorger complètement, retrouve sa respiration. Il est sauvé ! La maman pleure à chaudes larmes, mais c'est des larmes de bonheur. Le chirurgien qui la félicite au bout du fil est lui-même très ému, on le devine au son de sa voix.

J'aimerais avoir la chance de tomber sur un type comme ça si la même chose m'arrivait. Comme je serais fier de l'entendre me dire à la fin, pendant que j'essuie mes mains pleines de sang sur mon pantalon :
- Bravo Monsieur !
Après, mais c'est normal, je serais obligé d'expliquer à tous les gens que je connais quel effet ça fait de faire un trou dans la gorge de son propre enfant, et peut-être même que je serais invité sur un plateau de télé pour témoigner en direct et faire profiter de mon expérience des milliers de téléspectateurs à qui ça peut aussi arriver.
C'est mes émissions préférées, je les regarde toutes. Je saurai d'avance ce que l'animatrice va me demander. Elle me demandera :
- Est-ce qu'à un moment ou un autre vous avez pensé : « C'est trop dur, je n'y arriverai pas ! » ?
Mais je regarde aussi toutes les séries américaines, et je sais que dans ces cas-là il y a deux écueils qu'il convient à tout prix d'éviter. C'est :
1- la fausse modestie
2- la vraie modestie.
Dans ces cas-là les vrais héros n'en rajoutent pas trop. Je répondrai donc :
- Quand on se trouve dans ce genre de situation, ma chère Madame, on peut pas se payer le luxe de penser.
Ébahie, pleine d'admiration !
- Est-ce que vous saviez que vous étiez en train d'accomplir un exploit ?
Modeste comme un Américain qui vient de sauver la planète.
- J'ai fait ce qu'il y avait à faire, c'est tout.


On peut remplacer la trachéo par la césarienne si on veut, pour varier un peu. Cauchemar chirurgical 2. Une ferme isolée, pas un seul adulte à 10 km à la ronde (il faut bien ça). C'est l'un des enfants, l'aîné de la fratrie (7 ou 8 ans maximum) qui est obligé d'endosser le rôle d'apprenti sage-femme pour accueillir le prématuré qui s'amène les pieds en avant. En pleine cambrousse, avec un réseau instable, ce qui fait que c'est sa petite sœur qui doit lui transmettre les indications du médecin tout en se déplaçant sans cesse dans la cour, sous une pluie battante, jusqu'au moment où fatalement la batterie rend l'âme, rendant hélas également inaudible une énième recommandation du chirurgien, peut-être la plus importante, alors que la maman saigne comme c'est pas permis, au point que des bulles toutes rouges s'échappent de la bouche du petit garçon à cause qu'il suffoque de frousse et qu'il y voit plus rien, sait plus où couper, continuerait bien avec l'ouvre-boîte si on avait pensé à tatouer d'abord les pointillés sur la panse de la parturiente, mais non, bien sûr, rien de tout ça n'a été prévu!
Au bord de la crise de nerfs, le pauvre enfant se tourne vers sa sœur qui patauge derrière la fenêtre dans les flaques de boue et les bouses de vache.
- DEMANDE AU DOCTEUR QU'EST-CE QUE JE DOIS FAIRE !
Attente (insupportable) pendant que la gamine essaye de choper un satélite.
- Alors ? Qu'est-ce qu'il dit ?
- Il demande qui c'est qu'il entend crier. Si c'est la mère ou l'enfant.
« Tiens, c'est vrai ça ! Qui c'est qui pleure ? » s'interroge l'enfant.
Mais je ne répondrai pas à cette question angoissante. Ça s'arrête là, c'est fini, et il n'y aura pas de suite. Il n'y aura pas de Cauchemar chirurgical 3. C'est trop horrible.






















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